Le tribunal administratif de Lille, saisi une seconde fois en référé par l’association Averroès, qui gère le lycée privé du même nom à Lille, ainsi que par les associations représentant les personnels de l’établissement et les parents d’élèves, confirme sa position et juge que, eu égard aux informations qui lui ont été soumises, il n’y a pas lieu de maintenir le contrat d’association liant le lycée Averroès à l’Etat jusqu’à ce que la décision de résiliation de ce contrat, prise par le préfet du Nord, soit examinée par les juges du fond.
L’association Averroès gère à Lille un établissement d’enseignement secondaire. Depuis le 16 juin 2018, elle est liée à l’Etat, pour ce qui concerne le lycée de l’établissement, par un contrat d’association à l’enseignement public. Par une décision du 7 décembre 2023, le préfet du Nord, au nom de l’Etat, a résilié ce contrat à compter de la fin de l’année scolaire en cours.
Le tribunal administratif de Lille avait déjà été saisi en référé le 10 janvier 2024 par, notamment, l’association Averroès, l’association des parents d’élèves du groupe scolaire Averroès ainsi que le comité social et économique de ce même établissement, qui représente les personnels du lycée. Ces associations et ce comité demandaient la suspension de l’exécution de cette décision de résiliation. Par trois ordonnances du 12 février 2024, les trois juges du tribunal, ayant examiné ces recours, les ont rejetés.
Le cadre juridique de cette affaire est celui de la résiliation d’un contrat administratif. Dans cette hypothèse , le juge des référés ne peut, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, suspendre les effets d’une telle décision que si les vices affectant la résiliation sont d’une gravité suffisante, en l’état du dossier, pour justifier le maintien de l’application du contrat. Dans un tel cas,cependant, le juge ne peut ordonner la poursuite provisoire de l’exécution du contrat, eu égard à ces vices et, le cas échéant, à la méconnaissance de ses propres obligations par le co-contractant, que si la reprise temporaire du contrat ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
Dans ses décisions du 12 février 2024, le tribunal avait estimé, compte tenu des éléments dont il disposait alors, que l’association Averroès avait bien, comme la décision attaquée le lui reprochait par certains de ses motifs, manqué à deux titres à ses obligations.
En premier lieu, il avait jugé que le lycée s’était soustrait à deux reprises au contrôle qu’exercent les services de l’Education nationale sur les établissements d’enseignement privé sous contrat en matière de conformité des fonds documentaires des centres de documentation et d’information (CDI) avec les programmes ainsi qu’avec les objectifs de l’Education nationale en termes de respect des valeurs de la République, en particulier en s’opposant sans motif suffisant à un contrôle inopiné du CDI prévu le 27 juin 2022.
En second lieu, il avait considéré qu’il était suffisamment établi que les cours d’éthique musulmane dispensés au lycée reposaient essentiellement sur une version des commentaires des « Quarante hadiths de l’imam An-Nawawi » qui comporte des appréciations contraires aux valeurs de la République, notamment sur l’égalité entre les hommes et les femmes, l’application de la peine de mort en cas d’apostasie et la supériorité des lois divines sur toute autre considération et que le refus du lycée de faire procéder à un contrôle de son fonds documentaire ne permettaient pas de démontrer que ces commentaires ne seraient pas le support pédagogique utilisé par les élèves pour le cours d’éthique musulmane.
En conséquence, quels que soient les vices qui, selon les associations requérantes, affectaient la régularité ou le bien-fondé des autres motifs de la décision de résiliation, le tribunal avait estimé que la poursuite des relations contractuelles jusqu’à l’examen du recours au fond, était de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général, ce qui l’avait conduit à rejeter ces premières demandes.
Après s’être désisté de leur recours devant le Conseil d’Etat contre ces premières ordonnances, l’association Averroès, l’association des parents d’élèves du groupe scolaire Averroès ainsi que le comité social et économique du groupe scolaire Averroès ont saisi le tribunal d’une nouvelle demande en référé afin d’obtenir le maintien provisoire du contrat d’association, au motif, cette fois, que l’établissement avait pris diverses mesures qui mettaient fin aux manquements relevés précédemment.
Statuant à nouveau dans une formation à trois juges des référés, le tribunal a confirmé sa position et décidé de rejeter ce recours.
En premier lieu, il a confirmé que, s’il pouvait exister un doute sérieux sur la régularité de la procédure suivie avant l’intervention de la décision de résiliation ainsi que sur le bien-fondé de certains des reproches adressés par le préfet au lycée Averroès, les deux manquements relevés au mois de février, quand bien même ils auraient donné lieu à des mesures de correction, faisaient toujours obstacle à la reprise provisoire du contrat d’association, eu égard à la nature de ces manquements.
En second lieu, il a également noté qu’un troisième manquement était, par sa gravité, de nature à justifier le refus de maintenir provisoirement le contrat dans l’attente du jugement au fond. Ce manquement tient à la constitution irrégulière, par le directeur de l’établissement de l’époque, d’un fichier recensant certaines données personnelles des agents des services de l’éducation nationale intervenus lors d’une précédente inspection, notamment leur nom et leur photographie.
Le tribunal a confirmé ainsi que le maintien, pour la rentrée de septembre 2024, du contrat d’association porterait, compte tenu des informations dont il dispose, une atteinte excessive à l’intérêt général et il a donc rejeté cette nouvelle demande.